Retour de vacances
Déjà plus d’un mois que le sujet « médiathèque » fait couler de l’encre et est au cœur des discussions. Chacun se félicitant aujourd’hui d’une issue enfin trouvée par sa reconversion annoncée en « Equipement culturel » destiné à des archives vivantes départementales et à un lieu de lecture publique selon « Libération » - une alternative qui permet au Conseil Général de verser la somme qu’il refusait d’octroyer au projet initial -. Reste alors, le calme politicien revenu, à analyser sereinement la décision publique initiale, son processus, ses conséquences et son débouché à l’aune d’une participation citoyenne active et constructive, grande absente de ce premier épisode en plusieurs actes d’une mandature « motivée ».
Acte 1 :
Lancé début avril l’audit « comptable, financier et prospectif » de la Ville de Rouen mené par « un cabinet indépendant » permet d’annoncer très médiatiquement, deux mois plus tard, début juin, que « les caisses sont vides ». En un raccourci saisissant des experts mandatés par la Municipalité, estampillés « sincères » car « indépendants » voient leur travail d’audit devenir l’alpha et l’oméga des décisions publiques à venir.
La construction d’un argument d’autorité est la marque de ce premier acte. Cet argument fait exclusivement référence aux compétences reconnues voire autoproclamées par un groupe ici qualifié « d’expert ». Les experts savent. « La méthode est classique, me confiait un Directeur Général des Services d’une Collectivité de l’Agglomération Rouennaise, elle permet de médiatiser une stratégie de dénonciation de l’équipe précédente, en la basant sur l’indépendance de l’expert, afin de mieux faire passer sa propre politique ». Quel courage ?
Question : Les deux mois passés au travail de collecte de données comptables par ces experts et l’argent du contribuable ayant servi à les rémunérer ne pouvaient-ils pas servir à débattre de la situation entre citoyens, élus et services administratifs d’une situation financière et des projets parfaitement connus par ceux qui ont en charge la gestion des fonds publics ? Restait alors à définir les critères politiques qui permettraient aux élus de trancher à l’issue du débat.
Acte 2 :
« On ne s’interdit rien ! », tels sont les mots de Mme le Maire qui, après la presse, réunit autour d’elle plusieurs fois les élus de la Municipalité pour débattre et décider de ce qu’il faut faire. Je me suis laissé dire qu’au cours de ces réunions, l’augmentation des impôts locaux a été envisagée malgré les promesses électorales mais qu’enfin la décision a été prise, sous la pression de certains, d’en rester à la suppression de certaines dépenses : GPV, Marité, Médiathèque. Une semaine avant le Conseil Municipal du 2 juillet, les médias sont à nouveau convoqués pour une conférence de presse à laquelle l’arrêt du chantier de la médiathèque est annoncé avec sa destruction en vue. «On ne va pas laisser une friche » argumente Mme le Maire.
Stratégie médiatique : on a vu comment cette stratégie allait de paire avec le choix de faire intervenir des « experts », mais elle ne s’arrête pas là : elle est aussi convoquée pour faire accepter l’évidence construite dans le huis clos municipal. 1) Il n’y a plus d’argent pour NOS projets (l’aménagement des Boulevards, de l’Ile Lacroix…), 2) Il faut en trouver à hauteur de 23 millions par an, 3) Il nous faut arrêter et détruire la médiathèque. Sauf que cette belle mécanique comptable et raisonnée n’est pas reprise par la presse locale. Seul le point n°3 est retenu de la conférence de presse. Grain de sable dans le bel ordonnancement cartésien de l’explication concoctée.
Cette stratégie médiatique grippée est l’échec de la pensée unidimensionnelle : 1 2 3. Alors que la situation aurait nécessité l’usage de la pensée dialectique enrichie par une large confrontation démocratique, seule prédomine une approche binaire, comptable et basiquement causale. PETITE que cette approche technocratique et gestionnaire appuyée sur une triviale calculette de comptoir municipal.
Acte 3 :
Tollé ! Rien de plus normal : le choc émotif résultant de l’information fournie étouffe et dépasse très naturellement la pensée cartésienne. Ce choc envahit le champ politicien empêchant tout débat sérieux. Les citoyens s’émeuvent de ce gaspillage d’argent public, les politiques de droite hurlent à l’attentat culturel…nos édiles « binaires » tremblent…la solidarité municipale se fissure sous les lambris dorés. Pas d’intervention commune des groupes « verts » et « communiste et citoyen » au conseil municipal du 2 juillet sur le sujet pour apporter une once de réflexion dialectique, ce serait sans doute faire de ces fissures une faille. Veto socialiste ? Toutefois chacun de ces groupes exige de réfléchir avant que l’irréparable soit accompli : la destruction de l’ex futur médiathèque.
Les vents contraires soufflent, certains bassement d’opposition d’autres accompagnés de vœux que leurs orateurs n’espèrent pas pieux. Incroyable assemblée municipale totalement incapable de construire des possibles en s’enferrant dans un combat binaire dénaturant par là même le cœur de la Politique : le débat. Il aurait pu en être autrement. Il aurait juste fallu que la volonté du Maire soit d’animer le débat pour le rentre fructueux et non de le diriger conformément aux annonces faites à la presse une semaine plus tôt : une volonté dépassant alors la perversion institutionnelle d’une assemblée délibérante pilotée par l’exécutif. Cette perversion reconnue il est temps que ceux qui militent pour des pratiques politiques plus démocratiques prennent actes de ce monstre institutionnel alimenté par des pratiques de pouvoir. Ils doivent pour cela s’arroger le droit de pratiquer autrement, c'est-à-dire en totale indépendance à l’égard de l’exécutif tout en revendiquant une appartenance à une majorité. Ces pratiques sont légitimes : le souci de l’association du citoyen à tout projet est leur point cardinal.
Acte 4 :
On reconnaît ses amis à la propension qu’ils ont à venir à votre secours. La brèche ouverte par la minorité de la majorité municipale offre au Président du Conseil Général l’opportunité de proposer la reconversion partielle de l’ex futur médiathèque en lieu destiné à recevoir les archives départementales. Conférence de presse du 9 juillet. Une semaine après le Conseil Municipal. Reste à convaincre l’architecte : c’est fait le 16 juillet. Une semaine après.
Constat : le Président du Conseil Général incarne à tel point l’assemblée qu’il préside qu’il s’affranchit non seulement de toute délibération préalable à sa proposition mais aussi, semble-t-il, de tout débat au sein de ce qui est sa majorité. Si Mme le Maire de Rouen a mis à profit une semaine pour débattre avec son équipe « motivée » des décisions à prendre ,un moins-disant démocratique, M. le Président du CG ne s’est pas embarrassé d’une telle « précaution » pour agir. Il y avait urgence diriez-vous. De calmer les esprits, de ménager le pouvoir, certes, mais rien de plus. C’est donc, selon « Le Monde » du 31 juillet « 18 millions » qui seront apportés par le Département qui a contribué à plomber le projet médiathèque en refusant d’apporter la même aide financière à une collectivité (Rouen) pour le mener à bien.
Voilà tout est bien qui finit bien, le bâtiment de la médiathèque est sauvé, le quartier Grammont aura une bibliothèque de quartier, les archives seront archivées (la zone ne semble plus inondable). Sauf que si l’on peut se satisfaire du résultat, le pilotage démocratique de ce dossier n’est rien moins que déplorable. Facile de rejouer le film a posteriori mais ne faut-il pas que ce feuilleton médiatico-politique soit à la fois éducatif d’une alternative politique citoyenne et d’un positionnement plus offensif de certains élus porteurs de cette exigence dans un contexte municipal peu porteur de transformations sociales ?
Pour ce qui est de l’alternative, une campagne municipale stratégique et non programmatique, centrée sur une volonté de transformation sociale mettant au cœur de ses pratiques une réelle Démocratie participative aurait permis de débuter le mandat par trois mois de débats dans tous les quartiers de la Ville autour des grands projets en cours, « Monet Cathédrale », « Médiathèque », « Marité » et « GPV » avec une confrontation aux réalités des finances publiques auxquelles avaient accès de façon plus facile les politiques nouvellement élus dans le cadre de la volonté générale issue du vote. Ces débats pouvaient alors déboucher en juillet sur un Conseil Municipal au cours duquel les élus pouvaient trancher. Au cœur de cette dynamique, pourquoi pas les Conseils de quartier chargés, auprès des élus, d’animer cet échange démocratique dans tous les quartiers.
Pour ce qui est d’un positionnement plus offensif d’élus porteurs de ces nouvelles pratiques démocratiques, source de transformations sociales, une réelle recherche d’argumentaire échappant à la pensée unidimensionnelle, s’appuyant en particulier sur des approches systémiques usant de la dialectique et de la prospective doit être menée et médiatisée. C’est ce qui a fait défaut ici.
Voyons d’abord la médiatisation. Elle ne peut exister que dans une position d’opposition constructive. Concrètement seul le refus de suivre la logique binaire proposée (« caisse vide » = « arrêt et destruction de la médiathèque ») pouvait attirer les lumières médiatiques rendant alors la posture du refus et son argumentaire audibles dans un objectif large de transformation sociale.
Voyons ensuite l’argumentaire possible du refus. Il pouvait être légitimé, d’un point de vu politique par ces approches systémiques utilisant dialectique et prospective.
Il était ainsi possible de rejeter la fatalité de la « caisse vide » d’une collectivité publique alors que les profits privés ne cessent de s’accroître et qu’une redéfinition de la fiscalité sur le capital, en particulier, pouvait dépasser. Ainsi des moyens nouveaux pouvaient être dégagés permettant de construire cette médiathèque, de la rendre efficace pour ce qui est du développement de la lecture publique en imaginant son désenclavement par un développement des transports en commun. Mme le Maire n’est-elle pas aussi Député et ne pouvait-elle pas porter à l’Assemblée Nationale cette refonte de la fiscalité locale ?
Il était aussi possible de revenir sur le contexte politicien de la mandature Albertini, avec, en particulier, l’obstruction obsessionnelle d’élus de gauche davantage soucieux d’affirmer une posture de pouvoir (refus de contribution du CG et de la Région au projet Médiathèque) que de réfléchir les conséquences financières de leurs décisions sur les contribuables Rouennais et donc sur les projets futurs. Autrement dit la situation présente résultait-telle seulement de l’équipe précédente ou de l’interaction entre cette équipe et de certains élus d’opposition d’alors ? Une intervention du groupe « communiste et citoyen » de la précédente mandature avait très justement pointé ce problème en précisant lors du Conseil Municipal du 12 décembre 2005 qu’il n’était « pas question que d’autres collectivités imposent à la ville des choix qui ne seraient pas les siens »
Il pouvait être légitimé aussi, d’un point de vue démocratique, par la nécessité de construire dans le débat citoyen une issue relevant de l’intérêt commun, prenant en compte également les autres projets, « GPV », « Marité » et surtout « Monet Cathédrale » qui méritait mieux que cette consultation citoyenne, ersatz peu démocratique d’un référendum populaire (voire analyse précédente). C’est ainsi que peuvent être menées des démarches collectives émancipatrices qui se conduisent uniquement dans la confrontation avec les situations dominatrices, ici le diktat de l’argent. C’est à mon avis sur ce terrain, en s’alignant sur des positions d’une majorité dont ils sont minoritaires que les partisans d’une transformation sociale font preuve de faiblesse.
Yves
Le 31 juillet 2008